Bienvenue sur l'écho du champ de bataille

« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

samedi 7 avril 2012

Guerre conventionnelle : retour sur le conflit Iran-Irak 1980-1988.


Toujours dans le cadre du regard porté à la guerre conventionnelle (voir notre post sur le conflit géorgien en 2008), et alors que l’Iran redevient un acteur stratégique et militaire majeur dans le golfe Persique, j’aborde, dans cet article, la guerre Iran - Irak qui a vu s’affronter, pendant 8 ans, deux forces symétriques armées par les pays occidentaux et par  l’Union soviétique. Cet affrontement, d’une grande violence et coûteux en vies humaines, a mis en exergue le primat de la vision opérative sur celle purement tactique, tant du côté de Bagdad que de celui de Téhéran - les deux capitales faisant évoluer leur conduite de la guerre en fonction des succès ou des échecs obtenus sur le terrain. Ce conflit démontre également que, si la supériorité technique peut parfois avantager l’un des adversaires aux plus bas échelons, elle peut avoir aussi de graves conséquences sur une armée dans son ensemble. Enfin, une fois de plus, il est clair que le facteur moral, ici dopé par l’influence religieuse ainsi que par les choix politico-stratégiques, mais aussi l’utilisation de moyens particuliers (NBC, harcèlement naval, missiles), modifient les rapports de force et renversent le cours des combats.
Aussi, verrons-nous, qu’à l’instar de l’armée irakienne, un plan mal préparé, des troupes mal instruites (ou ne maîtrisant pas leurs systèmes d’armes) et un commandement ne respectant pas les principes de concentration des efforts et d’économie des moyens, entraînent souvent un échec ou, au mieux, un enlisement du conflit, ce dernier  ne trouvant seulement une issue que grâce à une « approche indirecte » de la conduite des opérations.
Pour mieux le comprendre nous aborderons d’abord le contexte de cet engagement militaire avant d’en dresser les grandes étapes puis le bilan et les enseignements.



Contexte :

Au cours de l’année 1980, les conditions sont toutes réunies pour le déclenchement d’un conflit. L’Irak souhaite devenir une puissance régionale, et pense s’emparer des champs pétroliers iraniens du Khuzestan. L’Iran, de son côté, est fragilisée par la révolution qu’elle vient de connaître, son armée est désorganisée. Néanmoins, Téhéran représente également une menace pour l’Irak avec les exhortations à la révolution islamique que transmet l’Ayatollah Khomeiny au monde islamique, et plus particulièrement aux Chiites qui représentent près de la moitié de la population irakienne. Saddam Hussein décide alors de frapper le premier avec une action « préemptive » grâce, notamment, à son armée qu’il a modernisée avec l’aide de l’URSS (achat de chars T72, équipements antichars, nombreux avions et hélicoptères). Il sait que l’Iran, dotée d’un équipement occidental ancien (investissements menés sous le gouvernement du Shah), manque de pièces détachées ainsi que d’approvisionnements suite à la rupture des liens commerciaux et diplomatiques avec les fournisseurs d’armement.


Forces en présence :

L’Irak dispose de 7 divisions d’infanterie, de 8 divisions et brigades blindées (chars T62 et T72), de 2 divisons mécanisées (chars T55 et engins type BTR), et d’une brigade de forces spéciales. Ceci représente 850 000 soldats en 1980, puis 1,5 millions en 1988, équipés de 3 500 chars, 8 600 véhicules blindés, 12 000 pièces d’artillerie, 3 000 avions et 1 900 hélicoptères. Malheureusement, ces unités sont mal entraînées et mal instruites. Quant aux opérations, elles sont conçues dans l’urgence, avec une confiance excessive des chefs en leur outil à l’issue d’une planification  « court termiste » qui exclut tout plan de manœuvre ou cas non conformes (notions sur lesquelles nous reviendrons dans des posts à venir).


L’Iran, avec 6 divisions et brigades d’infanterie, 5 divisions et brigades blindées (chars Chieftain ou M60), 1 brigade de forces spéciales, 5 groupes d’artillerie compte 600 000 soldats, 200 000 Pasdarans et Basiji (volontaires formés en 3 à 4 semaines, endoctrinés et lancés sur les lignes irakiennes par vagues d’assaut), 1 000 chars, 4 000 véhicules blindés (type M113), 7 000 pièces d’artillerie, 740 avions et 750 hélicoptères.



Déroulement du conflit :

-22 septembre 1980 : l’Irak déclenche une invasion de l’Iran. Des attaques aériennes simultanées sont menées sur 10 bases aériennes iraniennes. Cependant l’objectif n’est pas atteint, puisque l’aviation de Téhéran n’est pas complètement détruite. Les Irakiens envahissent l’Iran sur trois axes terrestres, sans engager toutes leurs forces car ils pensent que la guerre sera de courte durée. Au nord, ils occupent Qasr-e Shirin. Plus au sud, ils visent le Khuzestan.

-24 octobre 1980 : la ville de Khorramchahr est occupée par les Irakiens. Abadan, encerclée, a résisté et est toujours aux mains des Iraniens. C’est un point de fixation lourd de conséquences pour les troupes de Saddam Hussein. De plus, les difficultés rencontrées pour servir les systèmes d’armes, tout juste livrés, expliquent le succès en demi-teinte de l’invasion irakienne.

-5 janvier 1981 : les Iraniens lancent une contre-offensive mais subissent à cette occasion de lourdes pertes, en particulier au sud de Susangerd. Cet échec paraît être dû à l'absence d'infanterie pour soutenir l'action des chars mais aussi à la nature du terrain, très mou à cette époque de l'année, et donc impropre au déplacement des blindés. Il est probable que, dans ces combats, l'Irak a perdu une cinquantaine de chars T-62 et l'Iran une centaine de chars Chieftain et de M-60A1.

-septembre 1981 : les Iraniens repoussent les Irakiens sur la rive occidentale de la rivière Karun et mettent fin au siège d’Abadan qui a duré presque un an.

-novembre 1981 : le gouvernement iranien se dote d’un ministère des gardes révolutionnaires sous la direction de Mohsen Rafiqdust. Téhéran prend l’initiative tactique et ce, grâce à sa faculté de résilience et à l’engagement massif de la population dans la guerre (Basidji).

-novembre-décembre 1981 : les Iraniens reprennent progressivement le contrôle de certains de leurs territoires au nord, près de Susangerd et de Qasr-e Shirin.

-mars 1982 : attaque iranienne dans la région de Shush-Dezful, dans laquelle Téhéran fait participer 120 000 hommes. C’est au cours de cette attaque que commence à être utilisée la tactique des vagues humaines de Basiji, envoyés au front pour faciliter l’arrivée du corps des Gardiens de la Révolution en deuxième échelon. Les Irakiens, submergés, se retirent au-delà de la frontière de 1979.

-25 mai 1982 : libération de la ville de Khorramchahr par les troupes iraniennes.

-13 juillet 1982 : l’armée iranienne, sous-estimant à son tour le dispositif défensif irakien, lance une offensive le premier jour du Ramadan afin de prendre la ville irakienne de Bassora. L’attaque est repoussée par les troupes de Bagdad. Cette date marque un tournant dans la guerre. D’envahisseur, l’Irak doit maintenant de défendre et réagir, au niveau opératif, le champ tactique étant dès lors à son désavantage.

-1983 : malgré de lourdes pertes lors de ses offensives précédentes, l’Iran est déterminé à punir l’Irak de son agression de 1980. De nouvelles offensives sont donc lancées par Téhéran, sans succès.

-février-mars 1983 : l’Irak, cherchant à vaincre en initiant une approche indirecte. Bagdad lance alors des attaques pour détruire les installations pétrolières de l’Iran dans le Golfe Persique.

-septembre 1983 : la France décide de prêter à l’Irak 5 Super-Etendard équipés de missiles Exocet afin de bombarder les installations pétrolières iraniennes, sa flotte et son infrastructure portuaire et ainsi forcer le gouvernement iranien à accepter un accord.

-19-20 décembre 1983 : visite de Donald Rumsfeld à Bagdad. Cette visite représente un premier pas de Washington pour restaurer des relations diplomatiques normales entre les Etats-Unis et l’Irak. A partir de cette date les Américains augmentent leur soutien à l’effort de guerre irakien. La CIA vend ou facilite la vente d’armes à Bagdad via la Jordanie, le Koweit, l’Arabie Saoudite ou l’Egypte. Par la suite, les Etats-Unis fourniront des données opérationnelles afin d’aider à la planification des attaques irakiennes.

-1984 : l’Irak menace de bombarder des villes iraniennes si les forces armées de Téhéran lancent de nouvelles offensives. Le gouvernement des mollahs, refusant ce chantage, reprend ses attaques. Ceci entraîne les prémices de la période appelée « Guerre des Villes », durant laquelle les deux parties conduisent des attaques aériennes et le lancement massif de missiles sol-sol (type Scud) sur leurs villes frontalières respectives. Les pertes civiles seront très nombreuses.

-février 1984 : l’Irak annonce le blocus de l’île de Kharg, un terminal pétrolier iranien dans le Golfe Persique.

-30 mars 1984 : l’Iran se plaint de l’utilisation d’armes chimiques par l’armée irakienne qui cherche ainsi à rétablir l’équilibre tactique et à terroriser les populations.

-mai 1984 : l’Iran répond aux attaques de ses installations pétrolières en attaquant des tankers irakiens en transit (utilisation de vedettes rapides).

-février 1986 : l’Iran lance de nouvelles offensives terrestres, sans grand succès. L’Irak lance, quant à elle, des contre-offensives pour améliorer ou maintenir le moral de ses troupes usées par 6 ans de guerre.
-1987 : l’Iran se retrouve de plus en plus isolée sur la scène internationale à cause de son attitude offensive et agressive. La même année, le soutien des Américains aux Irakiens s’intensifie : des conseillers militaires sont envoyés à Bagdad pour aider à la planification des attaques par Saddam Hussein.
-juin 1987 : découverte de mines dans le Golfe Persique. Les Iraniens sont accusés de les avoir posées.

-1988 : les actions de guerre se font moins nombreuses au sol, les attaques sont presque exclusivement aériennes ou sont dirigées sur les villes et les installations pétrolières du golfe Persique.

-20 septembre 1988 : début officiel du cessez-le-feu entre les deux pays sous la pression internationale.


Bilan : Les deux pays ont perdu plusieurs centaines de chars, des dizaines d’avions et de navires mais surtout près de 850 000 soldats et civils (350 000 Irakiens, et 500 000 Iraniens).


Enseignements opératifs et tactiques :

-Les Iraniens sont surpris par l’attaque irakienne par manque de renseignement stratégique et doivent soutenir des sièges dans certaines cités, opérations coûteuses en hommes mais qui brisent néanmoins le rythme de l’attaque irakienne. Bagdad perd sa liberté d’action tactique (Bagdad n’engage pas l’ensemble de ses forces et n’arrive pas à prendre l’initiative ou à imposer son tempo comme prévu).

-L’Irak compte sur une victoire tactique rapide sans préparer un plan de campagne sur le long terme et ce, en divisant ses forces sur trois axes plutôt que de concentrer ses efforts sur un centre de gravité terrain (Chatt el Arab pétrolifère par exemple). Le principe de foudroyance (que nous évoquerons bientôt également) n’est pas mis en œuvre et empêche un succès rapide.

-Bien équipée, l’armée irakienne n’a pas pris le temps de s’entraîner avec son nouveau matériel qu’elle peine à mettre en œuvre au maximum de ses potentialités.

-L’Iran engage des contre-attaques sur un terrain inadapté aux opérations offensives blindées et échoue à déséquilibrer le dispositif irakien.

-Pour pallier sa faiblesse technique, Téhéran utilise les jeunes recrues fanatisées, les Basiji, qui se jettent sur les lignes irakiennes. Bagdad n’a pas anticipé ce nouveau mode d’action tactique et, face à la pression humaine iranienne, doit accepter de battre en retraite.

-Contrairement aux Iraniens, Saddam Hussein, grâce au rapprochement engagé avec les Etats-Unis, comprend la nécessité de mener une campagne opérative plus élargie et ouvre de nouvelles lignes d’opérations (approches indirectes) que sont les attaques sur les villes adverses ou sur les ressources pétrolières et ce, en complément des actions militaires conventionnelles.

-En 1984, Téhéran est surpris par l’utilisation des armes chimiques par Bagdad qui aurait pu changer le cours de la guerre.


-Très vite, les pertes en équipements sont importantes dans ce type de combat mécanisé. Au cours de la première année de guerre, l'Iran et l'Irak ont perdu environ le même nombre de chars, soient entre deux cent cinquante et trois cents engins. Certains observateurs supposent que l'Irak avait également probablement capturé, en un an, une cinquantaine de Chieftain iraniens en bon état, ainsi que des M-60A1 et des Scorpion.

-Quand ils ont été bien employés, les Chieftains iraniens (dotés de leur canon de 120 mm), se sont révélés bien supérieurs aux chars irakiens T-54 et T-55 armés d'un 100 mm ainsi qu'aux T-62 avec leurs 115mm. Ceci démontre la nécessité de moderniser son outil mais aussi sa doctrine et la préparation opérationnelle ou technique des forces pour disposer d’un outil cohérent même si l'Iran pallie ses lacunes dans ce domaine par l'endoctrinement de certains de ses soldats...


Pour conclure, ce conflit est bien révélateur du « continuum » qui doit exister entre l’équipement, l’instruction, l’entraînement, la doctrine et l’emploi d’une armée. Cette guerre conventionnelle rappelle également que la tactique, à elle seule, ne peut pas exempter le commandement d’une planification opérative sérieuse ni gagner les engagements de grande ampleur (les Allemands en avait fait l’expérience sur le front de l’est entre 1941 et 1945). Enfin, elle est l’illustration des nombreux principes de la guerre et de leurs applications, même si chaque pays a sa propre perception de ces concepts sensés guider l’art de la guerre. Un article à venir abordera d’ailleurs le cas français en la matière, surprenant voire déroutant.

Frédéric Jordan

Source image: Aumilitaire.com

7 commentaires:

  1. Monsieur Jordan un autre point qui mérite d’être souligné est l'incompétence des commandements militaires irakiens et iraniens étant donné que les nominations étaient fondées sur les critères de loyauté envers les pouvoirs politiques et non pas les compétences militaires ,ainsi que les purges qui ont nuit a l’efficacité et a la cohérence des opérations, je vous conseille vivement les mémoires du Général Hamadani sur la conduite des opérations lors de ce conflit et le degré d'intrusions de Saddam Hussein dans des décisions tactiques mineur,cordialement

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    Cordialement

    Adrien Fontanellaz

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